Les effluves sauvages d'un vent froid et sec sifflaient depuis quelques jours dans les rocheuses, repoussant les rongeurs dans leurs terriers et obligeant les grands mammifères à rejoindre les terres moins hostiles des bois ou des plaines. Pourtant, malgré la rudesse de l'hiver et la pauvreté aride des roches calcaires, courrait la rumeur que Quelqu'un... errait dans ces collines. Les uns parlaient d'un solitaire aigri, les autres d'un exilé malchanceux... Les moins rationnels de tous évoquaient une carcasse faible, opalescente, traînant derrière elle les parfums de l'oubli. Un Esprit égaré. Un Démon peut-être. Jusqu'ici, personne n'avait eu le courage de s'y affronter.

Le crépuscule projetait déjà ses ombres inquiétantes sur les chemins des Rocheuses, pas âme qui vive n'osait troubler l’éternel combat de la nuit et du jour pour la domination, éphémère, des cieux. Comme toujours à cette période de l'année où les jours se font plus courts, la lune ne tarda pas à imposer sa silhouette massive au dessus des Terres de Pandore. Seul le vent et ses sifflements, indifférent au calme des montagnes, se permettait par intervalles régulières de troubler le silence opaque de la nuit fraîchement tombée. Lui et une créature sortie de nulle part si ce n'est des rêves ou des cauchemars des uns et des autres.

Dans le plus parfait silence, elle s'extirpa des bois, longea une allée de bouleaux bas, sa silhouette famélique disparue brièvement derrière un monceau de roche. Un instant plana le doute de sa présence. Mais peu après un long filet de crins nacrés réapparu entre les buissons. Un jeu de cache cache entre la créature et les astres bien que ce soir là pas une étoile n’illumina les cieux, pourtant exempte de tout nuage. Par intermittence un rayon de lune éclairait honteusement la robe opaline, scintillante au dessus des os saillants. Le jeu s’éternisa longtemps, deux ou trois heures, jusqu'à ce qu'enfin, la licorne ne s'immobilise au cœur d'un labyrinthe de pierres blanches. Avec lenteur elle leva sans un effort son immense corne un pic de plus d'un mètre, fissuré et recourbé par les années, vers le ciel, semblant saluer la lune comme une vieille amie. Son encolure creuse s'abaissa à nouveau et les longs fanions de crins qui pendaient sous son menton allèrent frôler les herbes folles des Rocheuses.

Depuis quelques temps déjà, Faen avait entendu parler d'une étrange créature qui roderait parmi les rochers, à travers les plaques de calcaire. Sceptique, il avait d'abord bien vite oublié cette histoire. Mais de plus en plus souvent, il percevait des bribes de conversations portées sur l'être surnaturel disait-on, qui hantait ces lieux jours et nuits. La panique se faisait ressentir au sein du troupeau de Skyfall. Habitué à espionner le train-train quotidien des troupeaux, Faen s'en était vite rendu compte. Il avait alors décidé de venir voir de ses propres yeux la créature malfaisante, disait-on, ayant élu domicile aux Rocheuses. On lui avait indiqué les Rochers, et il s'était alors extirpé du regard de ses compagnons pour se rendre ici. Et alors que Samane et Kimrah dormaient d'un sommeil profond, Faen escaladait avec légèreté malgré sa masse les rochers blancs.

Le vent lui sifflait dans les oreilles, et la lune n'éclairait guère son chemin. Avancer ici sans lumière était périlleux, et la licorne tout de noir vêtu faisait bien attention de ne pas glisser, ou poser le sabot dans un trou. Il resterait coincé ici, si jamais il se blessait, et personne ne pourrait venir l'extirper de là. De toute manière, il n'avait besoin de personne.
Et pourtant, il ne pouvait empêcher un long frisson parcourir son échine. Faen s'immobilisa, relevant la tête et guettant les alentours, certain de sentir un regard posé sur lui. Il était observé et cela ne lui plaisait pas du tout. Les naseaux dilatés, émettant un long ronflement, il reprit sa route, les muscles tendus, prêt à voir surgir des ombres une créature sortie tout droit des enfers.

Faen n'était pas de nature peureuse ou craintive. Mais l'ambiance qui régnait ici l'invitait à la prudence et, ne faisant qu'écouter son instinct, pour une fois, la licorne restait donc sur ses gardes, attentif à tout ce qui se passait autour de lui. Ici, il n'y avait que le silence, aucun grillon qui chantait ou croassement de grenouille, rien que le silence et le souffle du vent dans ses oreilles, qui sifflait le malheur. Et puis soudain, au détour d'un chemin, d'un pan de mur de pierres blanches, il la vit.

Cette silhouette blanche, osseuse, presque transparente. Ce corps de squelette, qui par je ne sais quelle magie tenait encore debout. Elle apparaissait comme cela, comme un fantôme, un esprit maléfique. Le cœur de Faen manqua un battement et il faillait s'écrouler. Les yeux écarquillés, rapidement, il se reprit et recula. La créature disparut de son champ de vision. Le souffle court, coupé, il se remettait de cette soudaine montée d'adrénaline. Il avait presque failli lâcher une injure, tellement la surprise avait été grande.
Alors c'était vrai, il y avait bien quelque chose, car ça ne pouvait être qu'une chose, qui rôdait dans les Rochers. L'étalon noir releva la tête. Et seul à présent, qu'allait-il faire ? S'avancer et faire face à la bête ? Au démon ? Ou restait cloitrer ici, à attendre que la nuit passe et que le jour, protecteur, le rassure ? Non, Faen n'était pas un lâche.

Son sabot fendu se posa un peu plus loin, et il s'avança, découvrant de nouveau la silhouette blanchâtre, comme un esprit venu du monde des morts. Son regard se posa sur elle et, resta à la fixer, presque fasciné. Il s'immobilisa enfin, le corps à moitié dévoilé par les rochers, à guetter une réaction de la créature.